Partie 1
Les années passèrent et la petite Helvellyn devint une jolie jeune femme. Elle était toujours aussi vaillante et généreuse.
Régulièrement, les villageois et les gens de passage lui demandaient de raconter l’histoire de Blencathra. Elle concédait toujours avec plaisir à leur demande. Elle avait un véritable talent de conteuse. De plus, cette histoire attirait tant de monde désireux de voir la colline qui gardait les stigmates du combat contre les démons, que le village devint prospère, au grand plaisir du seigneur qui régnait sur ces terres.
Le Seigneur possédait un manoir à quelques lieues de là. C’était un homme bon, à peine plus vieux qu’Helvellyn, qui répondait au nom de Godric. Il était plutôt petit et trapu, la barbe et les cheveux d’un beau roux flamboyant.
Il avait hérité très jeune des terres de son père décédé quelques années plus tôt. Malgré cela, il avait la tête sur les épaules, et était très respecté par ses sujets. Il s’investissait beaucoup dans l’épanouissement de son domaine, et ne pouvait que se réjouir des affaires florissantes du petit village aux pieds des collines.
Bien entendu, il connaissait l’histoire de Blencathra. Néanmoins, il ne l’avait jamais entendue de la bouche d’Helvellyn, « la conteuse ». A l’époque, il était resté au chevet de son père mourant, et par la suite, ses responsabilités avaient pris le dessus. Avec le temps, cela avait fini par ne plus avoir d’importance.
Néanmoins, le nom d’Helvellyn continuait d’être prononcé en sa présence. Il décida donc qu’il était temps pour lui de rencontrer la jeune femme et d’entendre son histoire.
Il se déguisa afin ne de pas attirer l’attention, empruntant des vêtements à son serviteur, et se rendit au petit village. La bergère était sur la place centrale, entourée de plusieurs enfants qui lui posaient des questions sur la grande Blencathra, chasseuse de démons.
Godric fut très vite charmé. Helvellyn était très jolie, c’est un fait, mais elle débordait également d’un bel enthousiasme. Elle jouait avec les enfants, riait aux éclats. Et finissait toujours par s’échapper en courant car elle en oubliait ses brebis.
Aussi, il revint régulièrement sur la place pour l’écouter. Quand elle n’y était pas, il la trouvait dans les pâturages à surveiller son troupeau. Bien sûr, elle le remarqua et ils bavardèrent souvent. Finalement, ils devinrent très bons amis.
Helvellyn n’avait jamais vu son seigneur en personne, aussi elle n’avait aucune idée de la véritable identité de Godric qui passait pour un homme de passage, intéressé par les histoires régionales. Elle se sentait bien avec lui, et cela lui suffisait. Elle alla même jusqu’à lui confier le secret de son médaillon, la pierre offerte par Blencathra. Godric se contenta de sourire, il avait toujours été sceptique. Les objets magiques, il n’y croyait aucunement. Mais il aimait regarder Helvellyn rêver et raconter ses histoires. Elle lui permettait, pendant de courts instants, d’échapper à sa vie, ses responsabilités vis-à-vis du domaine,… Et surtout à Elena.
Elena était la fille d’un seigneur voisin, très vieil ami du père de Godric. Naturellement, les deux hommes avaient clairement émis le souhait d’unir leurs deux familles grâce au mariage de leurs enfants.
Godric n’était pas très à l’aise avec cette idée mais il l’avait toujours acceptée, comme il acceptait tout ce qui incombait à son devoir d’héritier et de seigneur.
Elena était une très belle jeune femme aux cheveux noirs ébène. Elle avait une peau de porcelaine et toujours un sourire enjôleur. Tout le monde l’aimait. Néanmoins, lui qui la connaissait depuis l’enfance, ne l’appréciait que moyennement. Elle était assez capricieuse et très égoïste. Elle pouvait se montrer aimable mais seulement si elle en retirait quelques bénéfices, ou l’admiration des autres. Elle n’agissait jamais au hasard, ce qui faisait d’elle une parfaite manipulatrice, surtout vis-à-vis de son père qui ne pouvait rien lui refuser.
Elena avait pleinement conscience des sentiments de Godric à son égard, mais elle n’en avait cure. Tout ce qu’elle souhaitait, c’était de faire un beau mariage et de devenir la femme la plus influente de la région. Tous devaient la connaitre, la respecter, et l’aimer.
A la mort de son « futur beau-père », la jeune femme avait senti le vent tourner, craignant que Godric n’en fasse qu’à sa tête et renonce à leur mariage. Aussi, elle ne manquait pas une occasion de lui rendre visite, avec ou sans son père, afin de se rappeler à son bon souvenir, et de lui parler de leur futur mariage bien entendu.
Godric appréhendait toujours ses visites qu’il trouvait de plus en plus ennuyeuses. Aussi, ses promenades en compagnie d’Helvellyn étaient vraiment les bienvenues.
Quelques mois après avoir rencontré la bergère, Godric réalisa finalement à quel point sa présence à ses côtés lui était devenue indispensable. Ils se voyaient de plus en plus souvent, se confiant l’un à l’autre. Godric ne s’était jamais senti aussi libre et honnête avec qui que ce soit. Avec elle, il pouvait être lui-même, penser et dire ce qu’il voulait.
Voyant qu’elle l’appréciait aussi, il prit son courage à deux mains et se décida à lui révéler sa véritable identité.
Un jour, alors qu’il la savait gardant son troupeau sur la fameuse colline de Blencathra, il la rejoignit comme à son accoutumée.
Dès qu’elle le vit, le visage de la jeune femme s’illumina. Elle accourut vers lui avec son enthousiasme habituel.
Mais quelque chose avait changé. Godric ne portait plus ses habituels habits rapiécés. Il portait de beaux vêtements en parfait état, confectionnés avec de belles étoffes. Il était très élégant, Helvellyn avait rarement vu d’hommes aussi bien apprêtés. Elle s’arrêta à quelques mètres devant lui.
« Godric ? Que se passe-t-il ? » demanda-t-elle enfin.
Le jeune homme avait les joues légèrement rouges, il semblait particulièrement ému.
Au bout d’un instant qui parut durer une éternité, il s’avança vers elle. Sans un mot, il prit sa main dans les siennes. Helvellyn en fut très troublée.
Il lui confia alors la vérité sur son identité et la jeune femme l’écouta sans l’interrompre.
Quand il eut fini, elle resta quelques instants sans réaction, l’observant en silence de son regard intense. Elle n’avait toujours pas prononcé un mot mais les larmes lui montaient aux yeux.
Godric décida alors qu’il devait aller jusqu’au bout.
« Helvellyn, je souhaite passer le reste de ma vie à tes côtés. Je t’en prie, accepte de devenir ma femme. »
Il eut à peine le temps de finir sa phrase qu’elle retira violement sa main d’entre les siennes. De toute évidence, elle avait du mal à contenir son émotion. Elle était sous le choc.
« Helvellyn, je t’en prie… » murmura Godric en s’approchant. Mais elle eut un mouvement de recul. Elle le regardait comme s’il était un parfait étranger. « Comment avait-il pu lui mentir, se moquer d’elle, pendant tout ce temps ? » se disait-elle.
Son regard exprimait la douleur, la cruelle déception face à cette trahison. Godric en fut profondément blessé car, malgré son déguisement d’homme simple, il lui avait confiée tant de choses, en toute honnêteté. Il ne chercha donc pas à s’expliquer davantage. Il fit demi-tour, la mort dans l’âme. Helvellyn vit bien qu’elle lui avait fait du mal, c’était bien involontaire de sa part. Un instant, elle voulut le retenir mais aucun son ne sortit de sa bouche, et elle resta là, seule sur la colline. Des flots de larmes coulèrent sur ses joues, sans aucune retenue.
Les semaines passèrent. Au village, tout le monde s’inquiétait pour Helvellyn qui avait perdu sa joie de vivre. Elle ne racontait plus l’histoire de Blencathra, ne jouait plus avec les enfants, ne s’arrêtait plus pour discuter avec les passants. Finalement, elle ne vint même plus au village, se contentant de sortir de sa bergerie seulement pour s’occuper des brebis.
Plusieurs villageois se rendirent alors jusqu’à chez elle pour s’enquérir de son état. Quand elle leur ouvrit la porte, elle fut frappée par l’expression sur leur visage. Ils étaient visiblement très inquiets. Elle posa son regard sur la vieille boulangère, la même qui l’avait tant aidée quand elle était au chevet de Blencathra. Elle avait les traits tirés, l’inquiétude se lisait dans son regard mais aussi le soulagement. Helvellyn réalisa que cette pauvre dame avait craint le pire à son sujet. Elle s’en voulut de l’avoir tant inquiétée. Il était temps pour elle de se reprendre.
Le lendemain, elle retourna sur la place pour raconter de nouveau son histoire, et rire avec les enfants. Elle se forçait un peu mais elle le devait. Finalement, ses rires et son enthousiasme se firent plus spontanés. Elle se sentait bien mieux.
Après réflexion, elle se dit enfin qu’elle devait essayer d’arranger les choses avec Godric.
L’expression sur son visage quand elle l’avait repoussé la hantait toujours. Elle se rendit donc au manoir.
Quand elle frappa à la grande porte en bois, un serviteur très âgé lui ouvrit. Elle le connaissait de vue, pour l’avoir souvent croisé au village.
– Puis-je voir Godric, je vous prie ? demanda-t-elle poliment.
– « Seigneur » Godric est occupé, affirma-t-il en s’offusquant du ton familier de la jeune femme.
Helvellyn réalisa qu’elle ne s’était pas encore complètement faite à l’idée que Godric dirigeait tout le domaine. Ils faisaient vraiment partie de deux mondes bien différents. Elle rougit légèrement de s’être faite ainsi réprimander, mais ne se découragea pas.
– C’est très important, je vous en prie, je dois lui parler.
Devant le ton implorant de la jeune femme, le vieil homme s’adoucit. Il soupira et la laissa donc entrer.
– Je vais voir ce que je peux faire. Mais ne le dérangez pas trop longtemps surtout ! ordonna-t-il.
– Je vous le promets, répondit-elle, reconnaissante.
– Qui dois-je annoncer ? demanda-t-il plus par habitude qu’autre chose car il connaissait déjà la réponse.
– Hel… Helvellyn, hésita-t-elle.
La jeune femme n’était vraiment pas à l’aise avec l’étiquette en vigueur chez les nobles. Face au vieux serviteur, elle se sentait de nouveau comme une enfant.
Heureusement, elle n’eut pas longtemps à attendre. Elle entendit des pas rapides dévaler des escaliers et Godric apparut alors dans l’entrée, les joues légèrement rosées.
Ils s’observèrent un instant, n’osant faire le premier pas. Toutes les bonnes résolutions qu’Helvellyn avait prises en chemin semblaient s’être envolées. Elle ne savait plus quoi dire.
Finalement, c’est Godric qui brisa la glace.
« Je te prie de me pardonner… » commença-t-il d’une voix qu’il espérait sûre et claire.
Le voir, l’entendre enfin après plusieurs semaines de silence bouleversa la jeune femme qui s’en voulut de ne pas être venu plutôt. Elle lui devait aussi des excuses.
« Moi aussi… J’ai très mal réagi, et j’en suis désolée. » finit-elle par lâcher.
Godric ne put réprimer un léger sourire mais Helvellyn continua, elle devait aller jusqu’au bout :
« Je crois comprendre maintenant pourquoi tu ne m’as pas dit que… Enfin, qui tu étais. »
Elle respira profondément et reprit : « Je suis contente d’avoir pu te connaitre. »
Elle souriait mais ses yeux étaient larmoyants, ce qui n’échappa pas à Godric dont le sourire s’effaça.
Finalement, n’en pouvant plus de retenir ses larmes, Helvellyn fit demi-tour, et se dirigea vers la porte d’un pas précipité. Elle s’arrêta à quelques mètres de celle-ci et fit volte-face. Malgré tout ce qu’elle pouvait éprouver pour lui à cet instant, elle devait lui faire ses adieux. Elle n’avait aucune place dans son monde. Elle fit alors une légère révérence en baissant la tête. « Adieu Mon Seigneur. » lui dit-elle sans lever les yeux. Et elle s’en fut, laissant le pauvre Godric seul. Mais cette fois-ci, c’en était trop. Pour la première fois de sa vie, il devait faire passer ses responsabilités vis-à-vis du domaine en second plan. Il sortit à son tour et la poursuivit.
Dès qu’elle avait franchi la porte, Helvellyn avait laissé ses larmes se répandre sur ses joues rouges. Elle pressait le pas en espérant que personne ne la voit dans cet état.
Quand Godric la rattrapa, elle le dévisagea, à la fois surprise et incrédule, mais quand il l’embrassa, elle ne le repoussa point.
A quelques mètres de là, Elena, qui s’était rendue au manoir pour une énième visite, observait la scène. Sans un mot, elle fit demi-tour. La rage et la haine déformaient son si beau visage. Pourtant, quand Godric lui annonça la rupture de leurs fiançailles, elle lui offrit sa bénédiction et tous ses vœux de bonheur dans le plus charmant des sourires.
Le mariage fut annoncé pour le mois suivant. Helvellyn et Godric étaient au comble du bonheur, et tout le domaine avec eux.
Il avait été décidé que leur union aurait lieu au village si cher à la future mariée. Aussi, Helvellyn put rester une dernière journée dans la bergerie qui l’avait vue grandir. C’est là qu’elle avait décidé de se préparer avec l’aide de plusieurs femmes du village. Malgré le statut de Godric, le mariage resterait simple. Elle n’avait donc pas besoin d’accessoires extravagants. Son vieux médaillon lui suffisait amplement. Son futur époux le savait, alors quelle ne fut pas sa surprise quand il lui fit remettre un beau diadème en argent serti de pierres précieuses. Helvellyn n’avait jamais vu la jeune femme brune qui lui apporta mais aucune des autres femmes ne fit la moindre remarque à son sujet alors elle ne s’en inquiéta pas.
En fait, les femmes n’avaient d’yeux que pour le magnifique objet, beaucoup trop outrancier au goût de la future mariée. Néanmoins, elle voulait faire plaisir à son fiancé aussi, elle accepta de le porter.
Ainsi apprêtée, la jeune femme quitta définitivement sa bergerie pour rejoindre la place du village où tous les habitants étaient réunis. Godric avait mis à sa disposition une très belle calèche décorée de branches et de fleurs.
Quand elle arriva enfin sur le lieu de la cérémonie, son futur époux l’attendait près de l’autel dressé pour cette occasion. Godric était très élégant, et très fier. Il se tenait là, dans un bel uniforme, l’épée au fourreau. De part et d’autre de l’autel, des hommes vêtus selon le même code vestimentaire se tenaient là en silence. Helvellyn en fut très impressionnée. Elle n’avait encore pas eu le temps de s’imaginer son fiancé en meneur d’hommes.
Quand Godric la vit, il en fut très ému. Malgré la simplicité de sa robe, elle était radieuse. Son regard fut néanmoins très vite attiré par le diadème qui ne passait pas inaperçu.
Helvellyn sourit de plus belle à l’idée de porter le cadeau qu’il lui avait offert.
Arrivée à ses côtés, elle ne put s’empêcher de le remercier discrètement. Godric ne comprenant pas demanda des explications.
« Pour le diadème. » se contenta-t-elle de répondre en souriant.
Le jeune homme était de plus en plus perplexe.
– Il ne vient pas moi… souffla-t-il.
– Comment ? demanda Helvellyn, surprise. Mais la jeune femme…
– Quelle… commença-t-il visiblement inquiet.
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. Une puissante voix sombre mais féminine s’élevait au-dessus d’eux.
La jeune femme aux cheveux noirs qui avait livré le diadème apparut alors au milieu de la foule qui recula d’un seul mouvement. Elena.
Avec un sourire dément, elle lançait sa vengeance, sa malédiction, dans une terrible incantation.
La surprise passée, Godric et plusieurs de ses hommes s’élancèrent vers elle alors que les villageois s’écartaient, mais elle les projeta dans les airs d’une seule main, sans même les avoir touché.
Des rumeurs disaient que la grand-mère d’Elena avait été une puissante sorcière, mais tout le monde pensait que sa magie avait disparu avec elle. Ils avaient tort. La jeune femme avait hérité des « dons » de son aïeule et les avait bien cachés, tout en les cultivant. Il était temps pour elle d’en faire usage contre ceux qui l’avaient blessée.
Godric se releva, et appela ses hommes au rassemblement. Heureusement, il n’y avait pas de blessé. Les épées sortirent de leur fourreau. Les villageois commençaient à prendre la fuite.
Helvellyn observait la scène horrifiée et incrédule. « Pourquoi cette femme leur voulait-elle du mal ? » se demanda-t-elle. Mais après la première attaque, elle réalisa qu’il n’était plus temps de se poser des questions. Craignant pour la vie de son fiancé et de tout le village, elle saisit son médaillon afin d’invoquer Blencathra.
« Blencathra, Blencathra,… » Elle n’eut pas le temps l’appeler une troisième fois. Les branches du diadème se mirent à s’enfoncer dans son crâne provoquant une terrible douleur. Sa vue se troubla et elle s’écroula.
(Note : les photo de Serah sont juste là pour illustrer le texte dans la mesure où je n'ai pas de poupée "Helvellyn".)
Elena éclata de rire tandis que les hommes armés s’approchaient dangereusement d’elle.
D’instinct, Godric se retourna vers Helvellyn et la vit à terre. Il accourut à ses côtés pour essayer de la réveiller. Il posa les yeux sur le diadème maudit, et le retira violemment, l’envoyant à plusieurs mètres. Malheureusement, le mal était déjà fait et Helvellyn restait inconsciente.
« ELLE EST MORTE, TA BERGÈRE ! hurla alors Elena. Et ce n’est pas fini ! »
« Tuez-là ! » ordonna Godric au comble de la rage. Il serrait le corps de la pauvre Helvellyn dans ses bras sans pouvoir se résoudre à la lâcher.
Elena lança une nouvelle incantation alors que les hommes de Godric cherchaient un moyen de l’approcher sans qu’elle ne puisse les repousser de sa magie.
En dernier recours, l’un d’entre eux tenta de lancer son épée sur elle. La magie dévia légèrement la lame mais elle la blessa à l’épaule. Ivre de rage, d’un geste, Elena renvoya violement l’épée vers son propriétaire qui ne put l’éviter. Il s’effondra mort.
Les autres allaient utiliser la même tactique quand la terre se mit alors à trembler dans un bruit sourd. De toute part s’élevaient de monstrueuses ronces, poussant instantanément, atteignant plusieurs mètres. Tous les villageois prirent la fuite, abandonnant leurs maisons qui s’effondraient sous la pression des plantes. Les hommes de Godric n’eurent d’autre choix que d’abandonner Elena et de se défendre contre les ronces qui les attaquaient. Ils avaient beau les trancher, il en repoussait toujours plus. Très vite, ils furent tous immobilisés par les branches aussi larges que des troncs. Les épines, telles des poignards, se plantaient dans leur chair.
Godric abandonna le corps d’Helvellyn pour saisir son épée et s’élançait de nouveau sur Elena afin de l’arrêter une bonne fois pour toute. Mais les ronces, comme douées de conscience, protégèrent leur maitresse. Le jeune homme se battit vaillamment, se frayant un chemin à coups de lame. Sa belle tenue était en lambeaux mais Elena se rapprochait. Aveuglé par la colère et le chagrin, il ne voyait plus qu’elle. Elle n’avait plus rien de la belle jeune femme qu’elle était. Elle était devenue un monstre qu’il devait détruire, pour Helvellyn, pour le village, pour tout le domaine.
Malheureusement, il ne vit pas arriver la branche qui le frappa de plein fouet, transperçant son corps déjà meurtri. Il fut projeté sur plusieurs mètres. Grièvement blessé, il ne put que ramper jusqu’à Helvellyn. Arrivée à sa hauteur, et malgré la douleur, il sourit. Elle était si jolie. Il caressa sa joue, elle était encore chaude. Il posa alors le regard sur le médaillon qu’elle tenait encore fermement dans ses mains. Il brillait d’une étrange lueur. Etait-il en train de la garder en vie ? Godric se souvint de ce que sa fiancée lui avait dit à son sujet et de la chasseuse de démons.
« BLENCATHRA ! hurla-t-il, au comble du désespoir, BLENCATHRA ! BLENCATHRA ! »
Malheureusement, c’était à Helvellyn que l’inconnue avait confié la précieuse pierre et seule Helvellyn pouvait l’utiliser.
Réalisant qu’aucun miracle ne se produirait, il reposa le médaillon sur la poitrine de sa fiancée et ferma les yeux pour ne plus jamais les ouvrir.
Sa vengeance accomplie, Elena se tut pour observer son œuvre. Elle était épuisée. L’effort demandé par sa magie avait décoloré ses cheveux devenus gris et blancs mais elle n’en avait cure. Sa vengeance, sa malédiction était accomplie.
Le village et tout le domaine de Godric étaient désormais dominés par ses ronces maudites. Elle s’avança alors vers le couple. Les branches s’écartèrent sur son passage.
Dans son dernier effort, le jeune homme avait saisi la main de sa fiancée pour ne plus la lâcher. Elena observa la scène avec mépris. Il était hors de question de les laisser ainsi, ensemble à jamais.
D’un geste de la main, elle ordonna aux ronces de soulever le corps sans vie de Godric, le séparant ainsi d’Helvellyn. Elena s’approcha alors pour poser ses lèvres contre les siennes en murmurant quelques mots incompréhensibles. Grâce à ce baiser, elle permettait ainsi à Godric de rester à jamais celui qu’il était. Son corps ne souffrirait ainsi aucun dégât lié au temps et à la mort. Il resterait l’homme qu’elle avait tant désiré.
Enfin, elle fit déposer son corps sur la plus haute colline du domaine, au cœur d’un cercueil de verre richement orné. Un dernier geste, presque généreux.
Au village, les derniers habitants à ne pas avoir fui avaient attendu qu’Elena emmène le corps de Godric pour rejoindre Helvellyn. Ils furent surpris de la voir si sereine. Elle paraissait comme endormie.
Quand ils la soulevèrent, ils découvrirent avec joie que son corps était encore chaud. Pourtant, elle ne semblait plus respirer. Le médaillon autour de son cou brillait toujours.
Tant bien que mal, ils la transportèrent jusqu’à chez elle. La petite bergerie avait été partiellement détruite par les ronces. Les brebis avaient fui. Pourtant, la partie où vivait Helvellyn était encore en état. Ils l’allongèrent alors sur son lit. Ils veillèrent sur elle de longues semaines sans qu’il n’y ait le moindre changement. Avec le temps, il devint de plus en plus difficile d’accéder à la bergerie tant les ronces devenaient épaisses et denses. Finalement, à contre cœur, ils quittèrent le domaine un à un. Laissant la pauvre Helvellyn seule, endormie au milieu des ronces.
A suivre...