Le sang du dragon, partie 1
L’Eau, le Feu, l’Air, la Terre. Quiconque peut commander les éléments peut mettre le monde à genoux. En tant que sorcière, Blencathra connaissait cette puissance mais ne la maitrisait pas. Bien sûr elle pouvait créer des boules de feu ou des éclairs mais ce n’était point la puissance d’un volcan en éruption ou d’un orage, cela n’égalait pas le pouvoir de la Nature elle-même. Hors, c’est cette puissance qu’elle convoitait désormais. Il ne lui faudrait rien de moins pour le jour où elle devrait affronter sa sœur et l’empêcher de nuire à son avenir…
« Je te rends ton fils et tu m’offres ton sang. Tu me trahis et les armées de mon père fondront sur la Montagne Noire… »
Tels furent les mots de Blencathra au Grand Dragon, seigneur sous la Montagne Noire.
Les dragons possédaient naturellement la magie élémentaire en eux. Avec l’aide de sa magie, leur sang pourrait octroyer à la sorcière ce qu’elle convoitait.
Contre toute attente, le Grand Dragon accepta sans chercher plus d’explication à une requête aussi extraordinaire. Blencathra avait eu l’audace de venir jusqu’à lui alors que les démons ne s’y risquaient pas et surtout… elle pouvait lui ramener son fils, elle en avait les moyens.
L’œuf avait disparu il y a très longtemps, le nid avait été retrouvé vide. La mère, un magnifique dragon de l’eau aux écailles de saphir, gisait morte à proximité, le cœur empalé par une lance.
Le Grand Dragon rechercha les responsables dans toutes les terres d’Infernos, en vain. Le crime resta impuni, l’œuf disparu.
Au bout de quelques saisons, la rumeur se répandit : un grand dragon aux écailles d’un bleu profond servait le Pandémonium. Il avait été aperçu, un démon sur son dos. Voilà la destinée de l’héritier de la Montagne Noire, simple monture pour les démons. C’était inconcevable pour le Grand Dragon mais, jusque-là, il n’avait jamais pu ne serait-ce qu’approcher du Tartare, capitale d’Infernos, pour apercevoir ce jeune dragon. Néanmoins, il le sentait au plus profond de lui-même, c’était bien lui, son fils, et il reviendrait.
L’accord conclu, Blencathra s’en retourna au Pandémonium et trouva Heleghîr au fond de sa grotte sous le château. Il ne l’avait plus quittée depuis qu’il avait perdu sa maitresse, Lilith, fille de Samaël. Blencathra se garda bien de lui dire qu’elle était encore en vie, profitant paisiblement de son séjour sur Terre en compagnie de sa sœur.
Le magnifique dragon qu’il fut était bien loin. Il était très affaibli, ce qui favorisa la tâche de la jeune femme qui put l’endormir sans trop de difficulté. Avec l’aide de quelques démons qu’elle avait soudoyés dans les bas-fonds du Tartare, elle parvint à faire sortir Heleghîr de la cité. Voyageant de nuit dans un immense chariot bâché dans lequel reposait le dragon, elle put le conduire sans trop d’encombres jusqu’au pied de la Montagne Noire.
Quand le Grand Dragon apparut, les démons qui avaient accompagné Blencathra jusque-là tentèrent de fuir mais il n’était pas dans les plans de la jeune femme qu’ils puissent rentrer jusqu’au Tartare pour raconter ce qu’ils avaient vu. D’un geste de la main, ils furent balayés, projetés contre les parois rocheuses. Les rares à survivre à cette attaque surprise disparurent comme les autres, emportés par quelques jeunes dragons attirés par l’odeur du sang et ce met inconnu.
Enfin seule, Blencathra débâcha le chariot et dévoila Heleghîr, toujours endormi, le souffle calme et paisible comme si il n’avait pas fermé l’œil depuis des siècles.
« Ma part du marché. A toi d’accomplir la tienne. » Déclara Blencathra dévoilant un grand chaudron prêt à accueillir le sang du Grand Dragon.
Ce dernier ne pouvait quitter Heleghîr du regard. C’était difficile à discerner dans l’œil d’une telle créature mais pourtant Blencathra put lire son émotion quand il regardait son enfant ainsi paisiblement endormi. Elle se remémora le regard de son propre père, Lucifer, quand il veillait sur elle pendant sa longue convalescence à son arrivée en Infernos. Personne ne l’avait jamais regardée ainsi avant…
D’un coup, le dragon sortit de ses pensées et sans un mot planta ses crocs immenses dans la chair de l’une de ses pattes faisant jaillir son sang sombre.
« Prends ce dont tu as besoin. » Dit-il, impassible.
Blencathra fut un peu décontenancée par le ton qu’il utilisa mais n’en montra rien. Elle plaça le chaudron sous la patte de la créature et attendit sans un mot qu’il se remplit. Le Grand Dragon avait de nouveau posé les yeux sur son fils, comme si rien d’autre n’avait d’importance, comme si Blencathra n’était pas là, comme si ils étaient seuls au monde.
Quand elle eut fini, elle recula. Le dragon, de son souffle, cautérisa sa plaie sans montrer le moindre signe de douleur. Il se redressa alors et ouvrit en grand ses ailes. C’est alors que deux autres dragons, de tailles considérables les survolèrent. Ils s’approchèrent d’Heleghîr, le saisirent sans qu’il fit le moindre mouvement et l’emmenèrent à l’abri de la Montagne.
Blencathra avait observé la scène sans un geste, ni un mot. Les deux dragons devaient être là depuis le début, elle ne les avait pourtant pas sentis. Pendant quelques secondes qui lui semblèrent incroyablement longues elle surveilla le Grand Dragon qui semblait prêt à prendre son envol et la dévisageait. S’il devait avoir trahison de sa part, c’était maintenant. Elle était prête à se défendre.
Le dragon s’envola alors pour se poser sur une corniche quelques mètres au-dessus.
« Nous avons tous respecté nos parts du marché. Il n’y a aucune raison pour que nous nous rencontrions de nouveau. Néanmoins, j’ajouterai une chose. Si tu convoites bien la magie élémentaire, comme je le pense, n’oublie surtout pas : toute puissance régie par la Nature est liée par l’Équilibre! Et s’il n’est pas respecté, il trouvera toujours un moyen d’être rétabli! »
Sur ces mots, le Grand Dragon s’envola pour disparaitre derrière la Montagne Noire laissant seule Blencathra. Elle plaça avec précaution son chaudron rempli de sang dans le chariot et quitta lentement le territoire des dragons.